Une de mes merveilleuses colocataires de l’Ashram me dépose à la gare d’Orléans au matin. Déjà, reprendre la voiture après un mois enfermé hors du temps, ça nous a déroutés (blague à part). Plus nous approchons de la ville, plus nos regards s’affolent : la circulation, les klaxons, les gens pas contents. On ferait pas demi-tour, dis ?
Nous sommes juste avant les fêtes de Noël. J’arrive à la gare, salue une dernière fois mon adorable colocataire, et décide de m’engouffrer dans une de ces galeries commerciales adjacentes pour me réchauffer. Quelle erreur. Moi qui avait élevé mon âme aux douces mélodies des kirtans, me voilà assaillie par Mariah Carey, qui me souhaite un ‘Merry Christmas’ de sa voix perçante.
Quoi dire en premier ? Je pourrais vous parler de la pollution visuelle. Incessante. Omniprésente. Celle qui à chaque coup d’œil vous déchire la rétine. Celle qui vous fait miroiter une promotion, une ‘BONNE AFFAIRE !’, un slogan à deux balles. ACHETEZ ACHETEZ ACHETEZ. L’impression terrible que mon âme se vend aux enchères. L’ambiance moderne est froide, terne. Le métal se mêle au faux bois. Les teintes sont tristes, les formes rectilignes. La nature manque cruellement aux villes d’aujourd’hui.
Je pourrais également vous parler des gens, ou plutôt de leur ombre. Je les sens absents, à peine perceptibles. Les téléphones aspirent leur conscience. Les regards sont vitreux. Les coins de lèvres baissés. Rien ne leur arrachera un sourire, mais pourquoi souriraient-ils après tout ? Les néons crachent leur lumière froide. La nature tente de défendre ses droits : dans de petits pots remplis de caillasse, de minuscules arbustes affublent leurs branches à la recherche d’un rayon de soleil qui ne trouveront jamais.
Mais il y a une dernière chose. Celle qui m’a le plus donnée envie de reprendre la direction de l’Ashram à tout prix : le bruit. Les BIIIIP, Mariah Carey, les discussions superficielles, les brimades, les complaintes, les voitures : toute la vie moderne me criait à la gueule. Je me sentais chahutée comme un navire dans la tempête. Tout m’agressait, et avec violence. Perdue dans la galerie marchande, je posais mes fesses dans un café, pour ne plus y bouger.
Et de là, une des questions de ma formation me revint en mémoire : pourquoi se rendre dans un ashram pour se former ? C’est le système gurukula : on se rend au foyer du guru pour s’imprégner de la vie yoguique. Une déconnexion au monde, mais un retour à la vie. C’est à cet instant précis que je mis à louer ce système. Une vraie coupure nous avait permis, à tous, de vraiment incorporer la richesse des enseignements. À l’ashram nous étions protégés du monde, sous couveuse. Les gens y baignaient dans l’amour et la gratitude. Tout le monde s’y rendait pour travailler sur eux-même, à être de meilleure version de leur être. Les Swamis nous avait d’ailleurs prévenus sur notre retour : tous le monde n’a pas fait de TTC (teacher training) ; sous-entendus : vous allez croiser des gens qui ne sont pas dans la bienveillance, qui se sont perdus en chemin, qui n’ont conscience que de la vie matérielle. Je le savais. Cependant l’expérience était plus parlante que les mots. Bien-sûr les gens sont ce qui sont, et il n’y a pas d’échelons vers ‘qui est le plus avancé spirituellement’. Il n’y a que des pans de conscience, parfois atteignables, parfois non. Ce n’est qu’une question de temps, et leur temps viendra. J’ai moi-même encore beaucoup à apprendre.
Arrivée à Angers, mon âme se liquéfie une bonne fois pour toute dans le tramway. Les discussions et le volume sonore des gens me paralysent complètement. Je veux sortir, respirer, être seule, loin. L’Après-Ashram peut commencer.
S’en suit des semaines où je ne suis pas chez moi, et où je dois, par conséquent, m’adapter au rythme de vie des personnes qui m’accueillent. Mon horloge biologique me lève à 5H du matin, et mon transit n’a clairement pas apprécié mon retour à la bouffe sucré et grasse de nos fêtes de fin d’année. Je ne trouve pas le temps de pratiquer mes séances de yoga, et l’effet de groupe n’étant plus, ma motivation s’envole. Avant l’ashram, je n’avais jamais pratiqué en groupe. Maintenant, je comprends le grand avantage que cela opère. Je me retrouve, au final, assez déprimée de ne pas avoir su garder le rythme que j’avais mis tant de mal à construire. Je ne perds pas espoir de m’y remettre, une fois retournée chez moi …
La formation n’était pas le vrai défi. Le plus grand défi, c’est l’après-formation. C’est la mise en place des préceptes dans la vraie vie. C’est la réflexion incessante, la mise à l’épreuve constante dans les expériences que notre âme souhaite vivre dans cette vie physique. Le vrai travail commence maintenant.